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La Vertu de Tempérance

I. La Vertu de Tempérance

 

1. Sa nature et son rôle

Etymologiquement, la Tempérance évoque l’idée de modération. Cette Vertu a pour but de « tempérer » ou « modérer » les plaisirs attachés aux fonctions des sens qui n’ont que trop tendance à dépasser la juste mesure.

Cette Vertu concerne les « appétits sensibles de la nature humaine » : ceux qui tendent à la conservation de la vie physique. La Tempérance entend modérer les délectations inhérentes d’une part à l’absorption de la nourriture nécessaire pour l’entretien de la vie individuelle, d’autre part aux relations sexuelles voulues pour la propagation du genre humain.

Les « appétits de la chair » font partie des passions qui ne sont pas mauvaises en elles-mêmes puisqu’elles sont des forces et tendances naturelles, œuvres du Créateur ; puissances qui deviennent répréhensibles le jour où elles se soustraient au joug de la raison. Le plaisir est normal et légitime mais devient condamnable s’il est recherché ou retenu de manière désordonné.

La Tempérance est la police des sens, chargée d’assurer le « service d’ordre ». La Vertu de tempérance s’applique à maintenir l’homme au niveau d’un être raisonnable. L’âme n’a sa liberté d’action et ses possibilités d’épanouissement qu’à la condition de s’appuyer sur l’équilibre des sens.

2. Les Vices opposés à la Tempérance

Deux vices, l’insensibilité, (l’excès de tempérance) et l’intempérance, (le défaut de tempérance).

* L’insensibilité

Il n’est pas question de l’insensibilité maladive qui résulte de certaines affections du système nerveux. Le vice d’insensibilité consiste à vouloir refuser et même condamner comme coupables indistinctement toutes les délectations attachées à l’exercice des organes des sens. C’est un vice car contraire à l’ordre naturel. En effet le plaisir gouté par la sensibilité est l’un des aspects du bonheur auquel tend la nature humaine ; de plus, il est la condition indispensable aux puissances corporelles pour qu’elles s’acquittent convenablement de leurs fonctions et soient les « bonnes servantes » de l’âme. Proscrire ce plaisir porte atteinte à Dieu en lui reprochant d’avoir mal fait les choses. En effet, le corps ne doit pas être identifié au péché. Or l’insensible s’ingénie à refuser systématiquement le moindre plaisir au corps, allant jusqu’à réprimer avec la dernière rigueur toutes délectations.

Que signifie alors la phrase de St Paul « je châtie mon corps et le réduis en servitude » ? S’il est conseillé à l’homme spirituel de pratiquer la mortification de la chair, cette action meurtrière ne signifie pas le suicide même à petit feu. Il ne peut être question de faire mourir que les éléments nocifs, en vue de vivifier les parties essentielles. Il s’agit toujours de tenir ce corps en état de rendre ses services.

Que penser des abstinences perpétuelles, des jeûnes prolongés ? Pour les chrétiens qui les pratiquent, qui éprouvent une si grande horreur du péché, c’est une manière de fuir le péché. Ensuite, ces vrais disciples ont hâte de ressembler à leur Maître : ils ont appris de Lui que la souffrance est rédemptrice et l’offrent spontanément aux intentions les plus hautes.

 

* L’intempérance

Aristote l’appelait « le péché d’enfant » car il existe une certaine similitude entre le vice d’Intempérance et le caractère de l’enfant. L’un et l’autre ne se soucient guère de l’ordre de la raison : ils se guident par l’instinct capricieux. L’Intempérance consiste à jouir du plaisir sensuel plus que de raison. Portée à son extrême, l’intempérance apparaît comme le vice le plus dégradant avec des degrés qui ne mènent pas toujours jusqu’à cette déchéance.

Mais jouir du plaisir sensuel plus que de raison ne veut pas dire toujours hors de toute raison. Il suffit pour qu’il y ait faute que la raison ne soit pas écoutée ou qu’elle capitule devant les injonctions des sens. « Plus que de raison » signifie sans motif légitime ou bien en excédant la mesure permise.

Le jugement des hommes tente souvent d’excuser l’Intempérance voire affiche les excès comme autant d’exploits. Mais, les aveux des plus grands « viveurs » attestent que les plaisirs charnels sont décevants dans la réalité : éblouissant mais fugitifs, ils ne laissent qu’amertume et écœurement épuisant à brève échéance un organisme qui n’est pas taillé pour les excès. Et la vie met chaque jour sur nos pas, les « victimes du plaisir », pauvres ruines physiques et plus encore épaves morales, tragique illustration des méfaits de l’Intempérance, qui suffirait à démontrer l’horreur du vice.

 

 

II. Tout ce qui compose  la Tempérance

 

1. Parties intégrantes : les éléments qui entrent dans la constitution de la Vertu de Tempérance

 

* La réserve provoquée par la crainte de la honte

C’est une attitude préliminaire et une prédisposition à la Vertu : la crainte de la honte permet de redouter une conséquence du mal sans porter au bien qui est la Vertu. La Réserve est comme un sursaut de la dignité de la personne humaine en face d’une action infamante. Aussi la crainte de perdre l’estime, d’encourir le mépris et le ridicule le fait reculer devant cette ignominie. 

 

* L’honnêteté ou sentiment de l’honneur est le complément de la Vertu

L’homme honnête ne veut pas faillir à l’honneur au regard de sa propre conscience. Le langage courant parle de l’homme honnête (l’homme juste) et de l’homme réservé (homme tempérant) : dans les deux cas il s’agit d’un homme honorable car vertueux. L’honneur est l’estime de la vertu pour elle-même, abstraction faite des éloges qui peuvent venir du dehors.

 

2. Parties subjectives

* La Vertu de Tempérance tempère les plaisirs inhérents aux actes de nutrition : elle s’appelle soit abstinence soit sobriété.

- L’abstinence est une abstention portant sur les aliments nécessaires à la vie corporelle : le retranchement du superflu. Son acte est le jeûne, privation volontaire dans la nourriture, soit sur la quantité soit sur la qualité. Le Jeûne serait moralement indifférent s’il n’est inspiré d’intentions hautes, et non pas par goût et par santé. Le Jeûne marque la maîtrise de l’esprit sur la chair ; il est donc recommandé par l’Eglise pour lutter contre les vices et pour élever l’âme vers Dieu.

Le vice contraire est la gourmandise, appétit désordonné de la nourriture corporelle. L’absorption de nourriture apporte la satisfaction du goût procurée par les aliments et l’apaisement de la faim, expression impérieux de l’organisme et donc légitime. Mais de l’abus, naît la gourmandise : c’est la bouche qui provoque le péché de gourmandise, qui se traduit par apporter un soin trop raffiné aux aliments, s’attarder outre mesure à les savourer, les prendre en trop grande abondance. La gourmandise n’est pas un péché mignon mais un péché capital, qui peut aller jusqu’à la luxure.

 

- La Sobriété concerne la consommation des aliments liquides, et plus particulièrement l’usage des boissons alcoolisées. Il ne faut pas interdire totalement l’usage de l’alcool mais chacun doit déterminer le « juste milieu » qui correspond à la Vertu de Sobriété de sorte que la tête reste lucide et les sens en état de la servir.

L’état contraire est l’ébriété, qui s’étend de la simple « gaîté » inaccoutumée à l’abrutissement complet. Lorsqu’il devient une habitude, ce vice prend le nom d’ivrognerie. L’homme pèche contre lui-même en outrageant sa propre dignité. De plus, s’il le fait consciemment il endosse la responsabilité des actes immoraux qu’il commet. « Ne vous enivrez pas de vin, car c’est la source de la débauche », « soyez sobres et veillez ». Ces principes s’appliquent aux autres modes d’Ebriété que sont les abus de narcotiques et stupéfiants…

 

* La Vertu de Tempérance appliquée aux actes de la génération humaine ou opérations sexuelles prend le nom de chasteté.

La Chasteté est une répression de l’instinct débridé. Répression au sens de modération et de maintien sous l’empire de la raison et non pas refoulement impitoyable et anéantissement. La chasteté ne veut pas violenter la nature humaine mais la rétablir dans son intégrité première et la porter à sa perfection. La Grâce par l’organe de la Vertu de Chasteté est donc capable de tempérer les ardeurs de la passion charnelle, de modérer les délectations inhérentes à l’union des sexes.

La chasteté est d’abord la chasteté conjugale. Les époux doivent d’abord se garder exclusivement et définitivement l’un pour l’autre : c’est l’unité et l’indissolubilité du mariage. Dans ces conditions, le plaisir sexuel est justifié. La chasteté des personnes non mariées leur impose une abstention complète des plaisirs sexuels quels que soient leur âge, leur sexe et leur condition.

La Réserve et l’Honnêteté ont leur place dans la Chasteté. Ces sentiments prennent le nom de Pudeur, sorte de répulsion spontanée que l’âme éprouve en face de tout ce qui offenserait la Chasteté. La Chasteté estime qu’il vaut mieux prévenir le mal que d‘avoir à le réprimer, et que le meilleur moyen d’éviter le péché est d’en refouler les lointains prodromes. La Pudeur invite à surveiller les sens et à leur interdire tout mouvement injustifié : imaginations, désirs, regards, conversations, gestes, caresses, baisers.

La chasteté des célibataires prend le nom de Virginité. Le mot fait songer à une jeune plante verdoyante qu’aucun souffle délétère n’est venu faner. Appliqué à la nature humaine, il la montre dans sa fraîcheur native. On réserve le titre de « Vierge » aux personnes qui observent la chasteté parfaite et perpétuelle. La Virginité comprend deux éléments : un élément corporel qui consiste dans la non-utilisation des organes sexuels et un élément spirituel qui est la force d’âme pour interdire tout mouvement des sens tendant à l’union sexuelle.

La Virginité est soutenue par les Vertus de Prudence, de Justice et de Force : quelle sûreté de jugement pour entourer de garanties un trésor si délicat ; quel souci de ne rien soustraire à Dieu de ce qui lui a été promis et donné, quel courage pour faire front à toutes les tentations liguées contre cette fragile Vertu.

Le Vice opposé à la Chasteté est la luxure : abus des relations sexuelles. Ce qui se traduit par la fornication (l’union d’un homme et d’une femme non mariés), le concubinage (si cette union illégitime devient habituelle), le stupre (ou détournement de mineur), le rapt (s’il y a violence), le viol (si l’acte sexuel est accompli contre la volonté), l’inceste (s’il existe un lien de parenté, consanguinité) et le Sacrilège (si les personnes avaient consacré à Dieu leur virginité). Il faut ajouter la Masturbation, la Sodomie ou pédérastie ou encore la Bestialité.

Cet abus plus grave lorsque les personnes interdisent la propagation de la vie : a priori c’est l’Onanisme, a posteriori c’est l’avortement.

Le premier fruit de la luxure est la chute de la spiritualité : aveuglement de l’intelligence, affaiblissement de la volonté, endurcissement du cœur, conduisent à la mésestime, à la méconnaissance et à la désaffection des biens spirituels et de Dieu.

 

 

3.  Vertus annexes de la Tempérance

* La Continence est l’abstention complète des délectations sexuelles. Dans ce cas continence devient synonyme de Chasteté parfaite ou de Virginité si ce renoncement est perpétuel. Mais au sens précis, la Continence a pour rôle de contenir cette passion, sorte d’intervention préalable.

On appelle Incontinence la promptitude de la volonté à suivre les suggestions de la passion, avant toute réflexion et tout conseil de la raison. Elle est parfois le fait du tempérament d’une nature impulsive, plus souvent elle provient d’une habitude, du manque ordinaire de vigilance et d’énergie pour refréner la concupiscence. L’incontinence est coupable mais elle l’est moins que l’intempérance caractérisée qui suppose un habitus vicieux pleinement volontaire.

 

* La Clémence et la Mansuétude

La Mansuétude calme l’emportement qui mettrait l’homme hors de lui-même (colérique) afin de le garder maître de ses mouvements et de lui permettre d’agir sous l’empire et le contrôle de la raison.

La Clémence en découle, lorsque l’acte doit avoir sa répercussion sur le prochain dont l’attitude a provoqué le mouvement de colère.

- Alors que la passion seule dicterait une réaction immédiate et implacable, la mansuétude permettant de juger avec sérénité, il apparaît que le prochain n’est pas aussi coupable qu’il a semblé d’abord. La Clémence incline à l’indulgence sinon au pardon total, comme l’a montré le Christ Lui-même. Mansuétude et Clémence coïncident le plus souvent avec d’autres vertus telles que la Piété et la Miséricorde ou la Charité, ce qui amène parfois à les confondre. Mais la Mansuétude vise à réprimer le mouvement de colère et la Clémence amène à craindre que la vengeance ne soit disproportionnée avec la faute.

La Mansuétude trouve ses contraires dans l’Irritabilité, l’Amertume et la Rancune. L’irritable s’emporte sans réflexion pour des motifs futiles ; l’homme amer entretient une colère sourde, qui pour être sans éclats, n’en sera que plus prolongée et plus haineuse ; le rancunier a soif de vengeance et la calcule au mépris de l’équité.

La colère est un vice capital : indignation fiévreuse, clameurs, injures, malédiction, puis vengeance sur les choses pour atteindre les personnes, dégradation ou destruction des biens de l’ennemi, enfin coups et rixes pouvant aller jusqu’aux blessures, à la mutilation et à la mort.

- Quant à la Clémence, si radieuse par la sérénité qu’elle conserve à l’homme offensé et la paix proclamée à l’homme coupable, elle est rare.

 

* La Modestie

Parmi les passions secondaires se trouvent l’appétit des grandeurs, le désir de savoir et le besoin de paraître. La Modestie apporte à tout cela une mesure. Elle se subdivise en Humilité, Studiosité et Simplicité.

- L’Humilité  est diamétralement opposée à l’orgueil. Faite de Vérité et de Justice, elle rappelle à l’homme son origine et sa nature ; elle rétablit l’ordre dans l’estime de soi et d’autrui. L’Humilité est l’œuvre de la Grâce surnaturelle. L’Humilité vraie et équitable consiste à rapporter à Dieu tout ce qu’il y a de bon dans la nature humaine et à s’attribuer à soi-même tout ce qu’il y a de mauvais. Elle est une Vertu dispositive en ce sens qu’elle écarte l’orgueil, qui entrave l’action de Dieu. Elle est le « fondement de l’édifice spirituel » ou bien « Maîtresse et Mère des vertus » ou encore « Gardienne de toutes les vertus ».

La Foi suppose l’élémentaire Humilité d’esprit qui avoue son impuissance à l’égard du surnaturel ; l’Espérance est humble puisqu’elle attend tout de Dieu et rien de l’homme lui-même ; la Charité s’appuie sur l’Humilité pour se disposer à s’effacer beaucoup plus qu’à se prévaloir. La Justice coïncide avec l’Humilité quand elle reconnait que Dieu est tout, et la créature entièrement entre ses mains ; quand elle inspire la méfiance de soi, l’Humilité stimule les grandes vertus surnaturelles de Prudence, de Force, de Tempérance qui sont l’action de Dieu en nous.

Aux antipodes, l’Orgueil, amour désordonné de sa propre excellence, qui portée à l’extrême devient la suffisance absolue, dédaigneuse de tout bien étranger et de tout secours venant du dehors. L’Orgueil est un péché capital. L’Orgueil fut même le premier péché de l’homme : c’est le désir d’être comme Dieu et cet Orgueil avait dicté la révolte de Lucifer qui osa revendiquer comme sa propriété exclusive cette nature angélique dont la splendeur le ravissait.

 

- La Studiosité permet d’établir un juste milieu entre une terrible paresse qui invite l’homme à se contenter d’un minimum d’effort et l’ambition folle de pénétrer tous les mystères et d’arracher à Dieu le monopole de la Vérité. « Il faut savoir mais avec sobriété ! ».

La Studiosité précise l’objet autant que la mesure du savoir qui convient à chacun, puis la manière d’acquérir la science et le cas échéant les personnes qui ont pour mission de la transmettre, enfin le but à se proposer et l’usage des connaissances obtenues.

« Ne cherchez point ce qui vous dépasse », recommande le Livre de la Sagesse. Il n’est pas possible de scruter le secret de Dieu et encore moins de recourir à des moyens subreptices pour tenter de surprendre les desseins de Dieu en faisant appel à des devins ou des spirites. A l’inverse il convient de ne pas se limiter aux données de la science sans chercher la grande et éternelle Vérité. Enfin le comble de la profanation est d’employer la Studiosité à des fins perverses : de s’instruire afin d’exploiter plus amplement des vices tels que l’ambition, l’appât du gain, la débauche sensuelle.

 

- La Simplicité consiste à s’appliquer à observer l’équilibre et l’harmonie, à être vrai. Il convient de connaître l’attitude à avoir selon la fonction que l’on remplit et de se souvenir que tout excès comme tout défaut est nuisible : trop de raideur rend la vie dure et sombre et trop de gaieté fait la vie folle !

Quant au vêtement, il a un rôle de protection mais il est aussi l’emblème d’une fonction et la manière de le porter révèle le caractère et souligne l’attitude du corps.  Le vêtement n’est pas seulement une protection du corps mais aussi de l’âme : un sentiment inné de pudeur exige que soient cachées certaines parties du corps.

 

III. Les préceptes concernant la Tempérance

Dans le Décalogue, on trouve le sixième et le neuvième commandements qui interdisent l’adultère. Mais implicitement la Tempérance est incluse aussi bien dans les commandements qui ordonnent d’adorer Dieu et de Le servir que dans ceux qui défendent de nuire au prochain.

In Initiation à la Théologie

de Saint Thomas d'Aquin

R. P. Raphaêl Sineux O. P.

Desclée et Cie 1979

Les Parties de la Tempérance
Les préceptes
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