Cyprianus Afer !
Saint Cyprien l'africain,
Evêque de Carthage
(au nord-est de Tunis)...
un Pasteur dans la tourmente
des persécutions contre les chrétiens !
La présentation suivante ne se veut pas
exhaustive mais originale ; elle voudrait
donner le goût et stimuler l'intérêt
de l'étude personnelle. Elle tient compte
des recherches historico-critiques récentes
s'agissant des œuvres esquissées. Il est
bien à propos pour quiconque veut
travailler attentivement une œuvre qui
le nourrisse, de se procurer soi-même
le volume correspondant dans l'excellente
Collection Sources chrétiennes.
Né vraisemblablement autour de 200,
et sans doute à Carthage, nous connaissons
peu les années qui précèdent son épiscopat.
Non plus catéchumène mais encore néophyte,
il fut nommé Evêque, peu après sa conversion
et son baptême que l'on peut dater vers 245.
Le changement de vie de Cyprien fut profond :
il fit vœu de continence pour Dieu et vendit
une grande partie de ses biens personnels
pour en faire don aux pauvres. Il fut ordonné
prêtre, puis évêque en 249.
Comme Evêque, Cyprien était un homme de
gouvernement et d'autorité. Un grand travail
de centralisation des Eglises naissantes
d'Afrique, lui valut le nom de "Papa Cypriani"
le Pape Cyprien, Pape de l'Afrique ! La plupart
de ses œuvres sont des écrits de pastorale,
suggérés par la situation de son époque :
il n'était pas ordonné depuis une année,
qu'éclata la persécution de Dèce, dès janvier
250, et les dégâts collatéraux inévitablement
engendrés à propos de l'unité de l'Eglise et du
statut des chrétiens, ceux qui avaient sacrifié
aux idoles et ceux qui, s'en repentant,
voulaient entrer de nouveau dans la pleine
communion de l'Eglise... De ces chrétiens
qui, surpris par une persécution impériale
imprévue, avaient cédé aux injonctions des
opposants et qui, l'ayant amèrement regretté,
ne devaient pas être accueillis sans
un temps de pénitence et d'amendement...
A partir de cette expérience épiscopale
spécifique, Cyprien produisit une œuvre
majeure : le Traité de l'Unité de l'Eglise,
ainsi que toute une correspondance
à propos de la conduite à tenir à l'égard des
déserteurs... Et des repreneurs !
L'Evêque Cyprien a beaucoup souffert
et a même connu l'exil pour un temps.
Bien sûr, un certain manque d'expérience
lui valut de se distinguer de manière plus
hasardeuse dans la controverse baptismale.
Nous sommes dans les débuts de l'Eglise...
Nombres d'hérésies sur la personne du Fils
de Dieu circulent, et l'on doit alors se poser
la question de la validité du baptême
qu'administrent leurs représentants et de la
nécessité ou non de devoir rebaptiser les
candidats... Saint Cyprien manqua d'à-propos,
de précisions, et s'engagea sur des chemins que
le Pape Etienne devait finalement lui reprocher !
Cette présentation est nécessairement
partielle et succincte. Rien ne sera jamais
mieux que de se donner les moyens de
travailler les œuvres elles-mêmes.
Pendant la persécution de Valérien, Cyprien
fut arrêté le 13 septembre 258 et, dès le
lendemain, sa tête fut tranchée en face de
tout son peuple... Jamais âme ne fut plus
catholique que ce grand évêque, même
si son manque d'expérience l'engagea dans
une épreuve plus cruelle que la mort :
s'opposer au Pape Etienne en croyant
pourtant bien faire ... Il fut néanmoins
le défenseur de l'Eglise et le martyr du Christ.
Nous présentons ici quatre documents
qui nous renseignent sur le personnage
et nous livrent ce qu'il a donné de lui-même,
pour Dieu et Son peuple...
La méditation sur l'unité de l'Eglise
La jalousie et l'envie
La Correspondance
Ceux qui sont tombés
La méditation sur l'unité de l'Eglise
De Ecclesiae Catholicae unitate
Vers 251, l'unité de l'Eglise d'Afrique est
menacée de l'intérieur, principalement à cause
des persécutions, mais également à propos des
réactions que provoquent les défections et les
apostasies. La réintégration des "lapsi" (ceux qui
ont renié la foi) et des "thurificati" (ceux qui ont
sacrifié un grain d'encens aux idoles et aux
divinités païennes Jupiter, Junon et Minerve)
créent de nombreuses dissensions au sein
de la Communauté chrétienne... Le nombre
d'apostasies fut considérable, et l'on comprend
l'épreuve que Saint Cyprien a du affronter.
Tous ces évènements créèrent beaucoup
de divisions... Aussi, l'Evêque Cyprien rédige-t-il
le De Ecclesiae Catholicae unitate,
qui est d'abord un écrit de combat, "le combat
d'un converti, d'un chrétien qui ne peut pas vivre
sa foi sans communier d'abord au mystère
du Christ et de l'Eglise." ( Cf le numéro 500
de l'édition Sources Chrétiennes,
Préface de Mgr DAGENS.)
Il ne s'agit pas à proprement parler d'un Traité
théologique sur la question de l'unité ecclésiale,
mais d'une superbe méditation pastorale
sur la considération des épreuves de l'Eglise
au regard des consignes de son Seigneur...
Quelques citations :
"Nous ne devons pas prendre garde seulement
aux dangers francs et évidents, mais aussi à
ceux qui nous trompent par la subtilité d'une
fourberie astucieuse." (3)
"Hanc Petri unitatem qui non tenet,
tenere se fidem credit ?"
"Celui qui ne maintient pas cette unité
présente en Pierre, croit-il maintenir la foi ?" (4)
"Qui Cathedram Petri, super quem fundata
ecclesia est, deserit, in ecclesia se esse confidit ?"
"Celui qui déserte la chaire de Pierre sur qui
l'Eglise a été fondée, peut-il avoir confiance
qu'il est bien dans l'Eglise ?" (4)
"Quiconque se sépare de l'Eglise pour s'unir
à l'adultère se retranche des promesses faites
à l'Eglise..." (5)
"Habere iam non potest Deum patrem
qui ecclesiam non habet matrem"
"On ne peut plus avoir Dieu pour Père,
si l'on n'a pas l'Eglise pour mère." (6)
"Le Seigneur parle de son Eglise et il parle à ceux
qui sont dans cette Eglise, afin que, si la concorde
les unit, et si dans le respect
de ses commandements et de ses
avertissements ils se rassemblent, même à deux
ou trois pour prier en parfait accord, ils puissent
même s'ils ne sont que deux ou trois, obtenir
de la majesté de Dieu ce qu'ils sollicitent." (12)
"Cum Deo manere non possunt qui esse in
ecclesia Dei unianimes noluerunt :"
"Ceux là ne peuvent demeurer avec Dieu
qui n'ont pas voulu vivre unanimement
avec l'Eglise de Dieu." (14)
De la Jalousie et de l'envie
De zelo et livore
Le Ministère épiscopal de Cyprien a duré dix ans.
Il n'est pas aisé de dater ce petit Traité ou cette
lettre plutôt... Cette exhortation s'adresse t-elle
aux chrétiens en général, ou a t-elle été motivée
par toutes les divisions entre les Eglises locales
et le siège de Pierre à Rome ? Le contexte de
sa rédaction est-il celui des schismes successifs
auxquels Cyprien a assisté ? Ce qui est sûr,
c'est que Saint Augustin cite le De zelo et livore
dans son Traité sur le Baptême.
Saint Cyprien décrit dans ce beau document
la nature du diable et sa manière de procéder
pour égarer les âmes rachetées... Le n° 519 de
la Collection Sources Chrétiennes, nous en
livre une belle étude et une belle traduction.
Très certainement, cette lettre de Saint Cyprien
était-elle motivée par toutes les vexations
et les contradictions humaines qu'il a du
inévitablement endurer dans un tel contexte...
Quelques citations :
A propos de la jalousie
"En la jugeant légère, on ne la craint pas, en
la craignant, on s'en désintéresse, et en s'en
désintéressant, on l'évite difficilement." (1)
"L'Ennemi tourne autour de chacun d'entre
nous (...) tâte le terrain et tente de trouver
quelque partie des fortifications qui soit
moins solide et moins fiable, pour pénétrer
par cet accès à l'intérieur..." (2)
"C'est par la jalousie que le diable, dès
l'époque où commençait le monde, s'est perdu
le premier et a perdu autrui (...), il n'a précipité
autrui sous l'impulsion de la jalousie
qu'après avoir été lui-même précipité
préalablement par la jalousie (...)" (4)
"Quand la jalousie
aveugle notre sentiment et soumet
à sa puissance le secret de nos pensées,
on rejette la crainte de Dieu, on néglige
l'enseignement du Christ, on ne songe
plus au jour du jugement." (6)
"La jalousie n'a pas de terme, c'est un mal
qui persiste continûment et un péché
sans fin (...) " (8)
"C'est une calamité sans remède que de haïr
celui qui est heureux." (9)
"Pourquoi t'enfonces-tu dans les nuages
du ressentiment ? " (10)
"Ils les appelle brebis pour que l'innocence
chrétienne égale celle des brebis, il les
nomme agneaux, pour que chez eux, un esprit
sans malice imite la nature sans malice
des agneaux." (12)
"Nous ne pouvons pas présenter une image
céleste si nous n'offrons pas la ressemblance
du Christ dans ce que nous avons maintenant
commencé à être..." (14)
"Va chercher la guérison là où tu as été blessé
(...) Imite les gens vertueux, si tu ne peux te
mettre à leur suite..." (17)
Correspondance
Au cours des premiers siècles du christianisme,
un lapsus, au pluriel lapsi, est un chrétien
qui a renié sa foi par peur des persécutions.
La Correspondance de l'Evêque nous
est précieuse car c'est par elle que nous
découvrons la manière dont Saint Cyprien
affronta l'épreuve des grandes persécutions.
Celle de Dèce (249-252) sévit partout
et jusque dans les moindres des localités.
Tel ou tel soupçonné de ne pas honorer les
dieux était convoqué et prié de s'exécuter :
faire brûler un grain d'encens sur l'autel des
dieux et renier positivement le Christ.
Il est à noter que les chrétiens par peur
des représailles, s'y précipitaient avant
même d'être inquiétés... On les nommaient
alors "thurificati" ou "libellatici" car ils étaient
en possession d'un libellus, précieux sésame :
un certificat impérial sensé leur octroyer la
tranquillité. Cette Correspondance peut être
étudiée dans les deux volumes de la collection
Les Belles Lettres, parus en 2002. Il était bien
difficile d'évaluer le nombre des apostats, tant
il était grand ! Saint Cyprien lui-même fut
approché et décrié : "Cyprien, aux lions !"
Ainsi l'Evêque se trouve t-il en face d'une
difficile pratique pastorale : le jour où ceux
qui sont tombés voudront revenir comment
les admettre de nouveau à la pleine commu-
nion ? Le temps de l'exigence et de l'indulgence
avait sonné ! Mais la persécution de Valérien
commença dès l'automne 257 et Cyprien fut
une de ses premières victimes... Après une
année d'exil, celui qui était appelé "le pape
de la secte sacrilège, fut définitivement prié
de sacrifier aux idoles ; refusant, le coup fatal
lui fut envoyé le 14 septembre 258. Il est un
peu facile de le dire près de 1800 ans plus
tard, mais la douloureuse expérience
de l'apostasie, avait fait grandir l'Eglise
d'Afrique dans la conception chrétienne
du binôme pénitence et miséricorde...
Cyprien exhorte à une authentique repentance
par la confession, la pénitence, la prière,
le jeûne et l’aumône. Et pour lui,
celui qui aura ainsi donné satisfaction à Dieu,
qui par sa pénitence pour son acte et sa honte
de sa faute aura gagné plus de vertu et de foi
à cause du chagrin de sa chute, celui-là sera
exaucé et assisté par le Seigneur,
rendra la joie à l’Église qu’il avait blessée
et ne méritera plus seulement que Dieu
lui pardonne, mais aussi qu’il le couronne.
"Ceux qui se repentent de tout cœur et
demandent à rentrer dans la communion
doivent être admis provisoirement dans
l'Eglise..." (Lettre LV,XIX,1)
"Après leur chute grave, non volontaire
mais forcée, ils n'ont cessé depuis trois
ans de faire pénitence (...) Est-il permis de
les admettre dès maintenant à la communion ?
A vrai dire, pour ce qui est de mon sentiment
intime, je crois que la miséricorde du Seigneur
ne leur manquera pas..." (Lettre LVI,II,1)
"Des distinctions doivent être faites (...)
Ceux qui ont apostasié et qui, retournés
au monde duquel ils avaient renoncé, y vivent
en païens, ceux qui transfuges passés à
l'hérésie, prennent tous les jours contre
l'Eglise des armes parricides, ne sauraient
être traités comme ceux qui n'ont pas quitté
le seuil de l'Eglise, implorant constamment
et avec des larmes les consolations de la
paternelle bonté divine..." (Lettre LVII,III,1)
Ceux qui sont tombés
De lapsi
Paru avant le Concile des Evêques africains,
(251), ce Traité de la rigueur certes,
mais de la miséricorde relativement à
la réintégration dans la Communauté des
croyants de ceux qui avaient failli dans la
confession et la fidélité à la foi commune,
est un document historique.
On trouvera ce Traité
dans la Collection Sources Chrétiennes,
particulièrement au volume 547, lui-même
muni d'une longue introduction fort intéressante
sur le contexte et les circonstances de la
persécution de Dèce à laquelle Cyprien
a du faire face... On reconnaît comme dans
ses Lettres, les deux aspects de la personnalité
de l'Evêque : une grande sévérité, mais très
volontiers tempérée par un penchant pastoral
à la mansuétude intelligente...
NB1 L'Empereur Dèce, nommé aussi Trajan
règne de 249 à 251. Les persécutions à
l'endroit des chrétiens commencent à la fin
de l'année 249 : poursuites judiciaires,
dénonciations, obligation de sacrifier aux
autels des idoles, apostasies (renonciations
formelles et publiques à la foi personnelle) ...
Quelques citations :
"Ce qui nous arrive, les prophètes ne l'ont-ils
pas annoncé jadis, et les apôtres avec eux ?"
(7)
"Le premier titre de victoire, c'est d'être arrêté
par les païens et de confesser le Seigneur ;
le second rang pour la gloire, c'est de se
retirer prudemment à l'écart et de confier
son sort au Seigneur. Dans un cas on confesse
Dieu publiquement, dans l'autre en privé ;
celui-là triomphe du juge séculier, celui-ci se
contente d'avoir Dieu pour son juge et préserve
la conscience de la pureté de sa conscience
grâce à un cœur inchangé..." (3)
"Je souffre, frères, je souffre avec vous, et cela
ne saurait amoindrir ma souffrance de me flatter
de mon innocence personnelle et de ma propre
santé, car un pasteur est davantage blessé de la
blessure qui affecte le troupeau." (4)
"Trop d'évêques, dont le devoir est d'exhorter
les autres et de donner l'exemple, dédaignaient
le soin des affaires de Dieu, pour prendre soin
de celles du siècle (...) Leur chaire délaissée,
leur peuple abandonnée, ils couraient les routes
loin de chez eux, de province en province" (6)
"Certains n'ont pas attendu pour monter au
temple qu'on les arrête, ni qu'on les interroge
pour renier leur foi..." (8)
"Et pour que rien ne manque à l'abondance
du crime, de petits enfants (...) ont été traînés
jusque-là, ils ont perdu tout jeunes le bien
qu'il avaient reçu dès le premier commencement
de leur vie naissante..." (9)
"Beaucoup se sont laissés égarer par un
attachement aveugle à leurs biens (...) Voilà
les liens qui les ont fait rester, voilà les chaines
qui ont paralysé leur courage, fait pression
sur leur foi, ligoté leur esprit, emprisonné leur
âme..." (11)
"Celui qui cajole un pécheur par de complaisantes
flatteries, entretient en lui la flamme du péché,
et loin de mettre fin à ses manquements il les
nourrit..." (14)
"Contre la vigueur de l'Evangile, contre la loi
du Seigneur, la légèreté de certains prodigue
la communion à des inconscients (...) Ils
reviennent des autels du diable et s'approchent
des mystères du Seigneur..." (15)