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LECTIO ET MEDITATIO

Lire et méditer des textes

de la Tradition spirituelle chrétienne.

Réapprendre à se bien nourrir...



L'échelle sainte...

La Lettre sur la Vie contemplative

Guigues le Chartreux, XIIème (SC 163)

Lire, Méditer, Prier, Contempler...


Il est traditionnel quand on emprunte une

voie spirituelle, de découvrir que le progrès

se fera par étapes successives. La question d'une

certaine gradation dans le progrès spirituel,

est habituelle chez les auteurs qui traitent

de l'évolution spirituelle des âmes...

Vous retrouverez le même type d'enseignement

chez Saint Jean Climaque (VIIème siècle),

la Κλῖμαξ, l'échelle en grec...


S'agissant de l'intériorité personnelle chrétienne,

elle s'acquiert elle aussi par étapes successives...

Il ne suffit pas d'ailleurs que l'on décrète vouloir

avancer, encore faut-il consentir aux étapes

de la vie spirituelle qui d'ailleurs, ne s'acquiert

jamais seul, mais auprès d'un guide expérimenté

et à la lumière de la grande Tradition de l'Eglise.


Au XIIème siècle Guigues le Chartreux, alors

qu'il travaillait la terre, eut l'inspiration intérieure

de la nécessité de quatre degrés dans

et sur l'échelle spirituelle : "lectio scilicet,

meditatio, oratio et contemplatio" =

à savoir la lecture, la méditation, l'oraison

et la contemplation." (Epistola, II-III, SC 163)

Il s'agit en fait, d'une œuvre majeure de la spiri-

tualité chrétienne : La Lettre sur la Vie

contemplative." C'est l'échelle des moines qui

les élève de la terre au Ciel" dit-il... (Ibid.)


Il faut donc consentir tout d'abord à LIRE !

C'est le temps de l'appropriation d'une nourriture

sainte, d'une nourriture substantielle qui éclaircira

le cœur :

"A la lecture, j'entends la béatitude : bienheureux

les cœurs purs, car ils verront Dieu." (Epist. III, IV)


Que lire et comment lire ? Guigues désigne

surtout ici et prioritairement l'Ecriture sainte,

mais il faut envisager les choses plus largement.

C'est Guillaume de Saint Thierry qui nous donne

une piste : "Il faut lire quelque chose d'accordé

à l'idéal poursuivi, qui favorise l'élan foncier,

qui retienne l'esprit et l'empêche de penser

à autre chose..." (Epist. L 1, 31)

Autrement dit, toute pensée bonne qui élève

l'âme et la conduit à Dieu est à retenir...

C'est ainsi que pour tout chrétien, la connaissance

de la Tradition spirituelle chrétienne et des

auteurs chrétiens est capitale... D'autres sont

passés avant nous, d'autres ont dit des choses

intelligentes et d'autres en ont vécu également,

de déterminantes... Il ne s'agit d'ailleurs pas

de lire beaucoup, mais régulièrement ; de lire

éventuellement peu, mais "quelque chose"

que l'on retiendra et dont on se nourrira dans

la journée... ("quod proposito conveniat :

quelque chose qui soit accordé

à la perspective recherchée et poursuivie...")

Il ne convient pas de se nourrir n'importe

comment ni même de laisser entrer en soi

ce qui contredit le désir du cœur profond,

un désir de croissance spirituelle...


De quoi nous nourrissons-nous, telle est bien

la question qui permettra ou non, l'émergence

d'une vie spirituelle libre, volontaire et

transformante. Que laissons-nous

entrer en nous, dans notre esprit et notre cœur ?

"Lectio in cortice = "La lecture est dans l'écorce"

dit Guigues, mais en se laissant piquer par une

parole, un verset qui aide à vivre pour Dieu,

l'âme "commence à mâcher cette grappe

et à la mettre au pressoir" pour en tirer le jus...

Il s'agit d'images bien sûr, mais le fond

est ici : recueillir en soi, dans sa tête et dans

son cœur, ce dont nous pouvons faire notre

miel ou notre vin...


Puis vient le temps de MEDITER ce qui a été

identifié comme effectivement nourrissant

et inspiré ! C'est le temps de la réflexion,

comme le dirait Saint Bernard, le temps

de la "considération" :

"L'âme brise l'albâtre et commence à pressentir

le parfum du baume, sinon déjà par le goût,

du moins comme par l'odorat. (...) La parole

est proposée à tous, la sagesse de l'esprit

à un petit nombre, car c'est le Seigneur

qui distribue cette sagesse à qui Il veut

et quand Il veut..."" (Epistola, V)

Il s'agit de prendre le temps de réfléchir à la

portée personnelle de ce qui a été lu. En quoi

cette nourriture spirituelle me fait avancer

et sur quels points en particulier ? En quoi

cette nourriture me rapproche de Dieu,

du Christ, de la foi de l'Eglise à laquelle

j'appartiens ? "Dans ma méditation s'est

développé un feu, le désir de Te connaître

Seigneur, davantage..." (Epistola, VI)


Alors vient le moment de PRIER,

de se détourner quelque peu

de soi pour se tourner vers Dieu et parler

au Christ. En se "détournant" de soi,

on apprend à quitter le texte pour en

prolonger le goût dans le silence intérieur...

Ce ne sont plus seulement les mots qui parlent,

mais les mots de la Tradition spirituelle

chrétienne authentique qui conduisent

au vrai Dieu :

"J'ai cherché Ton visage; j'ai longtemps médité

dans mon cœur (...) et plus je Te connais, plus

je désire Te connaître davantage" (Epistola VI)


Prier, ce n'est pas d'abord parler, mais se laisser

transformer par ce qui a été précédemment

apprécié. "Apprécié" ne veut pas d'abord dire

"j'ai bien aimé", mais "j'ai reconnu comme

authentique" ce que j'ai lu pour me conduire

à l'adoration véritable et donc ecclésiale,

du Dieu révélé par Jésus-Christ... La recherche

n'est donc pas seulement subjective, mais elle

doit correspondre à des critères, aux critères

de la Tradition spirituelle chrétienne, vérifiée

par l'expérience et l'expertise de l'Eglise.

Ce Chemin d'intériorité est pavé d'illusions !

L'Eglise est donc une précieuse régulatrice de la

valeur de l'expérience intérieure personnelle par

sa Tradition, par la convergence du Texte sacré

et celle des auteurs spirituels de toutes les

époques... Il est précieux et prudent de consentir

à la régulation de l'Eglise, instituée par Celui

que l'on se propose d'ailleurs de rechercher

et de connaître... La recherche du Dieu de

Jésus-Christ, passe par l'accueil de la foi

commune et traditionnelle et donc,

par l'expérience ecclésiale...


La prière liturgique est certes, formatée par

l'expression rituelle, qui obéit elle-même à des

mots codifiés, exprimant la vraie foi commune

de l'Eglise. Mais la prière personnelle, si elle

passe par le goût personnel, ce goût sera

délibérément soumis à ce qui est juste et vrai

selon la Tradition chrétienne orientale

et occidentale. En ce sens, "mon expérience

personnelle" correspondra de plus en plus à

une appropriation respectueuse "des biens de

famille", qu'il conviendra, je le comprends alors,

d'approcher avec respect et souci permanent

de puiser à la bonne source ... De même,

je devrai sans cesse vérifier que ma

compréhension des "biens de famille" soit bien

celle de l'Eglise qui les interprète car elle en

a reçu le mandat de la part du Christ Lui-même...

Rien ne serait pire et illusoire, que d'approcher

ces biens de familles en les instrumentalisant

par ma subjectivité, non soumise à l'objectivité

de ce qu'ils représentent et signifient

effectivement, dans le contexte plus global de

la compréhension authentique de l'Eglise.


Le lieu de l'expérience spirituelle, est le catalyseur

de mon inévitable subjectivité, et de la fonction

interprétative de l'Eglise. Ce sont ces deux

éléments qui rendent compte d'une expérience

spirituelle typiquement catholique, dans la fidélité

la plus précise au principe de Saint Vincent

de Lérins en 384 : « Il faut toujours veiller

et avec le plus grand soin à tenir pour vrai

ce qui a été cru partout, toujours et par tous »

(Communitorium)... En ce sens, lire

dans la Tradition catholique, n'est pas lire

"comme je veux" et prier, n'est pas d'abord

prier "comme je sens" ! Le caractère inestimable

de l'expérience spirituelle de type catholique,

c'est de permettre au chercheur de Dieu, d'être

en permanence connecté à deux mille ans de

Tradition spirituelle convergente. Le canal

privilégié de l'enseignement des Pères de l'Eglise

jusqu'au VIIIème siècle, et de tous les auteurs

spirituels qui ont suivi jusqu'à nous, est celui

qui nous maintient en permanence dans la

Révélation spécifique de la Nouvelle Alliance

en Jésus-Christ, selon ce qu'Il a voulu dire

et faire pour exprimer ce que Dieu voulait

nous faire connaître en entrant dans l'Histoire

humaine...


Forts de ces précautions, ce Chemin nous ouvre

à la CONTEMPLATION : contempler Celui que

l'Eglise vivante nous donne, et non pas seulement

et d'abord Celui que je crois connaître

par moi-même... Celui que j'ai appréhendé avec

justesse, me conduira à la juste contemplation

de Qui Il est !


Le principe de l'Incarnation, c'est-à-dire

de la déposition du divin dans l'humain, s'applique

également à la quête spirituelle... Dieu n'est pas

contemplé tout là-haut ! Il est contemplé en nous,

par la médiation du Christ et de l'Eglise,

par lesquels Il nous est donné à connaître en

vérité, selon ce que nous pouvons nous-mêmes

appréhender, connaître et recevoir, selon ce que

nous sommes et selon les âges de la vie humaine

que nous traversons... Avant d'être en capacité

de le contempler tel qu'Il est, dans un Face à Face

éternel !

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