Saint Grégoire de Nysse
QUELQUES EXTRAITS
HOMELIES SUR LE NOTRE PERE
in Sources chrétiennes n° 596, éd. CERF, 2024
Traduction Josette SEGUIN, Matthieu CASSIN
Christian BOUDIGNON.
(Acheter l'œuvre et la travailler, aide directement
les chercheurs et les éditeurs...) Ne pas s'étonner
du style des extraits ici donnés; il s'agit bien d'une
traduction à partir du texte grec.
PREMIERE HOMELIE
De ce qu'il faudrait toujours prier
De la battologie
Afin de nous éviter de tomber trop souvent dans
la "battologia" le Seigneur Jésus nous a donné
Sa prière dans le Notre Père...
Le néologisme vient du Christ lui-même !
"Προσευχόμενοι δὲ μὴ βατταλογήσητε,
quand vous priez, n'usez pas de vaines redites...
Mt 6,7, ce que l'on pourrait même traduire :
"ne faites pas de bla-bla comme les païens :
μὴ βατταλογήσητε !" C'est un impératif...
"Le Christ me semble donc corriger et réprimer
la vacuité de la réflexion de ceux qui s'enfoncent
dans les désirs vains et avoir trouvé à cause
de cela le néologisme insolite de cette expression
pour blâmer la folie de ceux qui se dispersent
par leurs désirs des objets futiles et vains. En
effet, le discours sensé, intelligent et qui vise
l'utile, est appelé "discours" (logos); mais le
discours qui se répand en des discours
chimériques à travers des plaisirs inconsistants
n'est pas un discours mais un bla-bla (battologos);
on pourrait dire cette idée en l'exprimant de
manière plus grecque "bavardage", (φλυαρία),
"niaiserie", "sornettes", ou quelque autre
expression de même signification." (II)
"Dieu accorde des choses à ceux qui les
demandent non en tout cas parce qu'elles sont
bonnes, mais pour que, à travers ces succès,
la foi en Dieu soit affermie par ces biens assez
superficiels, et que, apprenant peu à peu par
l'expérience, à l'occasion des demandes moins
importantes, que Dieu écoute ceux qui Le
supplient, nous nous élevions alors vers le désir
des dons élevés et dignes de Dieu..." (Ibidem)
DEUXIEME HOMELIE
Notre Père qui est aux cieux
"Notre Seigneur Jésus-Christ, lorsqu'il s'apprête
à nous conduire à Dieu (...) conduit à une sorte
de parenté avec la nature supérieure ceux qui
s'approchent de Lui... (I)
"Quand vous priez ! Il ne dit pas "quand vous
faites un vœu !", comme s'il convenait que ce
qui concerne le vœu soit déjà accompli avant
même qu'on ne s'approche de Lui..." (II)
"Qui peut appeler Dieu Père ? Seul peut oser
appeler Dieu Père, celui qui Lui ressemble (...)
car le Père signifie la cause de celui qui existe
à partir de Lui (...) et quand le Seigneur nous
enseigne à dire par la prière que Dieu est notre
Père, Il ne fait rien d'autre que de nous
prescrire une vie élevée. Car assurément la
vérité ne nous enseigne pas à mentir au point
de dire ce que nous ne sommes pas et de nous
attribuer un nom qui ne convient pas à notre
nature, mais elle nous apprend, lorsque nous
déclarons que Celui qui est incorruptible,
juste et bon est notre Père, à montrer la vérité
de notre apparentement..." (III)
TROISIEME HOMELIE
Que Ton Nom soit sanctifié,
que Ton règne vienne
"Qu'en moi soit sanctifié Ton Nom que j'invoque,
(...) me souciant de ce qui est en haut et déployant
les conduites angéliques..." (II)
"Que Ton règne vienne sur moi pour que
s'éloignent de moi les passions qui maintenant
me dominent et règnent sur moi (...) : que soit
supprimée la guerre de la chair contre l'esprit.
(...) L'ennemi est en nombre, mais il n'est
invincible que pour ceux qui sont privés de Ton
aide et tant qu'on est seul..." (III)
QUATRIEME HOMELIE
Qu'advienne Ta volonté
sur la terre comme au Ciel
Donne nous le Pain quotidien
"Il y eut un temps où l'humanité avait la santé
intelligible, c'est-à-dire que les divers éléments
étaient mélangées en nous de façon équilibrée
et conformément à la vertu (...) Mais une fois
que, après que la disposition désirante eut
pris le dessus, la disposition conçue comme
son contraire, c'est-à-dire la maîtrise de soi,
eut été vaincue par celle qui était en excès,
et qu'il n'y eut plus de frein au mouvement
sans mesure du désir vers ce qui ne convient
pas, dès lors, la maladie mortelle, le péché,
s'établit dans la nature humaine." (II)
"Et donc, le vrai Médecin des affections de
l'âme, Celui qui est venu dans la vie des hommes
à cause des malades, en affaiblissant la cause
de la maladie par les pensées de la prière, nous
ramène ainsi à la santé intelligible... Or la santé
de l'âme, c'est l'heureux Chemin de la volonté
divine, exactement comme à l'inverse, choir de
la volonté divine est une maladie de l'âme qui
s'achève dans la mort... Il nous a rendu libres
de la maladie par la conjonction avec le vouloir
divin. Car les mots de la prière sont un remède
contre le péché qui est survenu dans l'âme. (Ib.)
"Et que le bien s'accomplisse aussi en nous pour
que, après que toute mauvaiseté ait été mise hors
du Chemin, Ta volonté fasse, en tout,
heureusement son Chemin en nos âmes..." (III)
"La frugalité et la mesure sont conformes
à la formule de l'impassibilité... C'est pourquoi
nous avons reçu l'ordre de demander ce qui suffit
à la conservation de notre substance corporelle...
Cessons alors d'accumuler contre nous-mêmes
ce qui fait naître des peines; tu dois la nourriture
à ta petite chair ; pourquoi donc multiplies-tu le
luxe de ton estomac, ce percepteur perpétuel ?
Demande du pain parce que tu en as besoin !" (IV)
LE SERPENT DU GOUT OU LE GOUT DU PLAISIR
"Le serpent introduit sa tête à une jointure dans
laquelle il s'insinue et l'on ne saurait le retirer
facilement dans l'autre sens en le tirant
par la queue... C'est quand le plaisir entre et se
glisse dans la jointure de l'âme qu'il faut s'en
garder et obstruer autant que possible les
jointures de la vie.... S'il trouvait une entrée en
nous parce que l'harmonie de notre vie s'est
relâchée, de ce fait le serpent du plaisir fera
son trou dans les cavités de notre pensée, et
il sera difficile à extraire à cause de ses écailles...
Il y a une seule bête au sens générique,
c'est la passion du plaisir, (...) et si tu fuis la
cohabitation avec la bête, garde-toi de la tête,
c'est-à-dire du premier assaut du mal (... )
Ne fournis pas une entrée au reptile qui rampe
jusqu'à l'intérieur et qui, dès la première atteinte,
y fait pénétrer tout son corps qui se traîne...
Lorsque le serpent s'est enroulé autour de
quelqu'un, il l'entraîne avec lui dans une frénésie
de débauche et c'est là le point extrême des
maux humains... (IV) Si Dieu est justice,
il n'obtient pas de Dieu son pain, celui qui
possède sa nourriture du désir d'avoir toujours
plus; tu es en personne le maître (de ce que tu
demandes) dans ta prière." (IV)
Le Pain d'aujourd'hui...
"Seul le présent appartient en propre à chacun (...)
à chaque jour sa mauvaiseté (...) et Celui qui te
donne le jour, te donnera aussi ce qui est
nécessaire pour ce jour " (Ib.)
NB : L'esprit du texte : si tu pries pour demander
un bien corporel, aie conscience qu'il est
éphémère; et si tu pries pour recevoir un bien
de l'âme, aie conscience qu'il est éternel
et continu !
CINQUIEME HOMELIE
Remets-nous nos dettes...
Et ne nous livre pas à la tentation
"La remise des dettes est propre à Dieu
et sa prérogative... Il est dit en effet, que personne
ne peut remettre les péchés sinon Dieu seul.
Donc, si quelqu'un imitait par sa propre vie les
caractéristiques de la nature divine, il devient
d'une certaine façon cela dont il a manifesté
l'imitation par une ressemblance exacte (...)
Tu demandes que tes dettes te soient remises
par Dieu ? Toi, remets-les et Dieu aura déjà
prononcé la même sentence..." (I)
Souviens-toi des fautes communes
à la nature humaine...
"L'homme (...) s'est séparé lui-même de son
créateur et a déserté pour passer à l'ennemi,
en devenant ainsi fugitif et déserteur à l'égard
du maître naturel. Il a donné son libre-arbitre
en échange du funeste esclavage du péché
et a préféré, plutôt que de servir Dieu, être
tyrannisé par la puissance corruptrice." (I)